Artisanat  ·  05 novembre 2015, 14:34

Le dernier des Mohicans

©Morgane Pasco

« Je ne sais pas pourquoi, il y a un peu de poussière ici. »

C’est au milieu d’un impressionnant amoncellement de pièces de bois qui envahit tout l’espace de l’atelier que Philippe Huet, chemisette à carreaux et bermuda, reçoit, jovial. Une fine couche de sciure recouvre chaque objet entreposé là, depuis une semaine ou dix ans, sur un tapis de copeaux moelleux. La faible lumière laisse deviner des centaines de balustres d’escalier, manches de pioches et de haches, tabourets, pieds de table et de lampes, quilles, et même une pomme de pin géante. « Je suis le tourneur le plus complet de France » annonce-t-il fièrement, faisant l’article en présentant ses machines dont il est, pour certaines, le seul à encore les utiliser : tour frontal, excentrique, à reproduire, à révolution. Ils permettent à l’un des derniers tourneurs sur bois de Meuse d’honorer des commandes aussi diverses qu’étonnantes, du porte-manteau dit « perroquet » à la crécelle personnalisée, du pas de vis pour relieur à l’ancienne au moulin à poivre d’1,70 m de haut.

Depuis 56 ans, Philippe Huet vit à Souilly. Il y est né en 1954, et son père d’abord agriculteur, y reprend dans les années 60 une ancienne brosserie, à l’endroit exact où, selon la légende locale, cette activité débuta en France, en 1741. Le développement de l’atelier doit beaucoup alors aux différentes sortes de brosses fabriquées, pas loin de 2000 par mois, aujourd’hui remplacées par d’autres techniques de nettoyage. En 1968, « la révolution couvait », la crise en tout cas. Quelques ajustements de production, et ce sont des formes pour les chaussures, puis, dans les années 80, les commandes de quilles d’un fabriquant de jouets qui paieront le tour mécanique : « Ça ronflait, ça n’arrêtait pas. » Pieds Voltaire ou Louis XV, bâton rond ou torsade, pièce unique ou copie, le travail se diversifie en même temps que la conjoncture se tend : « les grandes séries sont parties en Roumanie, moi, c’est comme une épicerie. Je rame, mais mon secteur s’agrandit et j’aime mon métier. »

« Je n’en revenais pas de faire une série pareille »

Enthousiaste et intarissable, il caresse les différentes essences de bois qu’il travaille : érable, frêne, chêne, noyer, merisier -bien sûr issu du département- mais aussi pin sylvestre, mélèze, wengé ou iroko. C’est pour son savoir-faire unique et précieux qu’il a été choisi pour tourner l’ensemble de bols, assiettes, planches et plateau dessinés par Matali Crasset. De petits compromis techniques ont été consentis pour accorder le projet de la designer et les contraintes de l’artisan pointilleux. « Je n’en revenais pas de faire une série pareille ! Pour survivre, les petites structures comme nous doivent courber l’échine, s’adapter.»

©Loup Godé

©Loup Godé

©Loup Godé

©Loup Godé

©Loup Godé

©Loup Godé

Se faufilant entre la dégauchisseuse et la scie à chantourner, il emprunte l’étroit passage qu’il s’est frayé au fil du temps dans la montagne de bois, démarre un tour dont le ronronnement anime aussitôt toute la caverne. A l’étage, ses parents, attentifs, haussent la voix pour préciser une date, un nom. La transmission de l’atelier et du savoir-faire ne sera pas facile, au moment de la retraite qu’il ne prendra pas vraiment, car peu de jeunes ont eu le goût de se former à cet artisanat très spécialisé. Dommage, car l’homme a bien plus qu’un tour de main à transmettre et Philippe Huet n’a pas d’héritier, mais un neveu ingénieur qu’il visite une fois par an au Canada d’où il revient justement. Volubile, encore émerveillé par la largeur du Fleuve Saint-Laurent et par les énormes bateaux remontant jusqu’à Montréal, il précise mais on n’en doutait pas : « Quand on travaille avec moi, on parle d’histoire, de religion, on parle de tout. »

Objets We trust in wood par matali crasset réalisés par l’artisan Philippe Huet (Souilly, 55) :

Service de table en érable sycomore.
– Petit bol : Ø 15 cm x H 6,2 cm
– Assiette creuse : Ø 19 cm x H 3,8 cm
– Assiette plate : Ø 25 cm x H 2,6 cm

3 planches en érable sycomore et noyer, pour manger, goûter, transporter.
– Petite planche : 30 x 20 x 1,2  cm
– Planche moyenne : 18 x 45 X 1,5 cm
– Grande planche : 30 x 45 x 1,8 cm

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