Qui connait Les Paroches ? Qui s’attarde aux Paroches ?
C’est à la sortie de la ville de Saint-Mihiel, dans la Meuse, et il n’y a là rien d’extraordinaire, aucune séduction, pas même pittoresque. Et pourtant. L’artiste Antoine Marquis y revient sans cesse, s’en délecte presque. Il y trouve ce qui fait le sel de son travail, un réservoir d’images, de formes. Un prétexte. Des amoncellements improbables dans les jardins, des boîtes à lettres un peu trop décorées, des fontaines silencieuses, des portes de grange retapées, un drapeau tricolore triomphant. De rues en rues, il déplace son petit siège tripode, croque une encoignure, un détail. Il n’y cherche pas la beauté cachée que d’autres ne verraient plus ni la poésie des choses abandonnées. Son regard est lucide, il dirait hébété, presque froid sans être explicitement sociologique.
Les lieux qui l’inspirent sont hybrides, suscitent des sentiments contrastés, ambigus, jettent le trouble, suscitent le flou. Une sorte de mélancolie, mais sans affect, devant ces endroits à la fois banals et sans qualité particulière, hors du folklore, qui racontent pourtant quelque chose, un certain « état de la France » qu’il ne retrouve pas ailleurs dans le pays, et surtout pas à Paris où il habite et qui a tari son inspiration.
Il dessine vite, au crayon, qu’il traitera ensuite au pigment, ou au pastel, aussi bien qu’au stylo bille. Il peut aussi utiliser la photographie rapide sur le vif, en guise de prise de note, comme un réalisateur en repérage, tant son ancrage cinématographique est fort. Il cite Rivette dont il reconstitue des saynètes de Céline et Julie vont en bateau dans une maison de Saint-Mihiel, lorsqu’il y est hébergé pendant sa première résidence à Vent des Forêts. Il choisit les personnages de Pauline à la plage de Rohmer pour une édition de papier peint édité par la Galerie de Multiples à Paris. Les anti-héros, les « looser plein de dignité » de Kaurismäki le touchent. Dans sa famille artistique, il accueille l’écriture adolescente de Salinger, David Hockney -période Yorkshire- mais aussi Giorgio Morandi et Philip Guston.
Il y a chez lui de l’élégance dans la distance, de la légèreté, toujours, et parfois, une certaine maladresse du trait assumée, celle d’un « dessinateur du dimanche », mais hyper lucide. Les petits formats, pensés et présentés en séries dans une narration souvent quelque peu sibylline, sont autant le résultat de son exploration du territoire que celle du dessin lui-même, comme sujet, comme pratique, comme geste. Sa modestie qui s’accommode mal du spectaculaire s’encanaille parfois de réalisme fantastique.
C’est avec un matériau totalement inédit pour lui, la céramique, qu’il traitera un autre motif qui l’intéresse : le spectacle, le costume. Toujours dans le contexte meusien de Vent des Forêts, en préparation d’une exposition à la bibliothèque municipale de Saint-Mihiel en 2018 et en regard des dessins, il pense une série de tout petits bas-reliefs à motifs de personnages costumés très colorés, style Parade. Comme un story-board, ou l’ébauche d’un projet de spectacle à venir, dont il sait déjà que la représentation n’aura jamais lieu. Et c’est sans regret. C’est le processus qui importe, l’exploration, la rêverie, les digressions, les fragments trouvés par hasard, la joie des petites découvertes, les ratés qu’on garde.
Il chemine là sur les terres de son complice de toujours, le photographe Julien Carreyn, qui sillonne de la même manière les mêmes endroits, fouille les mêmes interstices. Dans une simplicité apparente et une absolue sincérité. Avec rigueur, sans emphase. A 17h30 ce samedi 4 novembre, aux Paroches, les lampadaires s’allument sur des rues déjà silencieuses, désertées. Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Terminer le dessin. Ou comment être à la fois détaché et obsessionnel, factuel et surréaliste, précis et troublant. En tout cas juste.
A lire également l’article de Beaux-Arts Magazine sur Antoine Marquis.