Le chemin est long pour arriver à la maison bien cachée au bout de la route, dans un petit village niché au cœur de l’Argonne. La pancarte qui indique l’atelier est tombée mais, à l’entrée de la grange ouverte, son mari pointe le doigt vers le haut : Colette est à son ouvrage. A l’étage, sous les poutres anciennes, un petit métier à tisser trône au milieu des piles de nappes et de serviettes pliées sur des étagères, dans une semi-pénombre et un décor un peu suranné. « Celui-là, c’est pour le nid d’abeille. C’est sur un petit comme ça que j’ai appris. » Faussement nonchalante, tee-shirt parme et lunettes rouges, Colette Chatelet souligne :
« Au tout début, j’ai commencé par la grosse laine, c’est plus facile pour comprendre le principe, le passage du fil. »
Mais bien avant, au tout début et pendant treize ans, Colette était professeur d’anglais. Née dans le Nord, tout près de Lille, elle écoute les récits de sa grand-mère qui travaillait dur comme petite main chez une couturière de Dunkerque, puis vit longtemps dans la Marne, où pendant ses vacances, elle fréquente les auberges de jeunesse, apprend le tissage, invente un projet de copains autour des matériaux naturels. Mais pour elle, c’est sérieux, elle veut en vivre et fait fabriquer son premier métier à tisser dans les Vosges. Après la laine, il faut apprendre à descendre en taille de fil, passer au coton puis à la soie. Elle apprend les techniques semi-professionnelles chez un tisserand du Sud de la France, puis, à Provins, rachète un « Walfard de Polignac » sur lequel elle tisse aujourd’hui pour Matali Crasset un modèle d’écharpe, totalement original, très long et très étroit, à porter sur la tête, en coton et lin. Coton d’Egypte bien sûr, le meilleur. Seule tisserande de Lorraine en activité, Colette trépigne devant son métier à quatre cadres monté de fils d’une incroyable couleur turquoise :
« Cette association bleu/orange, ça me travaille, j’ai hâte de voir fini. »
Il lui a fallu quatre jours pour installer les fils et il faudra une semaine pour tisser les douze mètres de tissu nécessaires à la réalisation de cette commande inhabituelle qui l’éloigne de son quotidien de tisserande. Elle a dû faire patienter d’autres clients, amateurs de ses nappes, serviettes et gants de toilette réalisés dans ce fameux nid d’abeille dont le succès lui avait été promis dès ses débuts. A portée de main, A Handweaver’s Pattern Book, la bible du tisserand, recense près de mille deux cents motifs, initie à l’enfilage et au maniement des pédales, pour des réalisations toujours plus complexes. Les croquis y rappellent étrangement des grilles de musique. « Oui, le tissage, c’est comme une partition, j’actionne les cadres, je fais rentrer les motifs comme des instruments. J’écoute la musique autrement maintenant. » On pense à un grand orgue.
« En fait, on pourrait jouer un morceau de chant grégorien avec un métier à quatre cadres. » Mystère de mélomane ? Elle n’hésite pas à filer à Paris écouter des concerts de jazz à la Villette, ou à l’Arsenal à Metz. Punaisé au plafond, une grande affiche du film Bleu, dont les notes composées par Preisner l’ont beaucoup touchée, domine le métier à tisser. Les écheveaux et les bobines multicolores de coton, de laine, de chanvre, accumulés avec le temps, cohabitent avec les échantillons en cours et un assortiment de sa production que les clients n’hésitent pas à fouiller pour trouver leur bonheur. Les visites ralentissent le travail, bien sûr, mais le lendemain, c’est tout un groupe d’apprentis qui tisse la fibre de verre, envoyé par le Greta, qui viendront envahir son petit espace, et à qui elle ne manquera certainement pas de dire :
« Quand vous avez fabriqué le tissu, vous le regardez autrement. »