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Qu’est-ce qui différencie un artiste du commun des mortels ? Peut-être sa conscience aigüe, lancinante, de sa présence au monde, qui pourrait – devrait – être celle de chacun. Présence entière, extraordinaire, mais fugace, implacablement stoppée par la mort. Cette finitude que l’on sait, cette épée de Damoclès suspendue, on peut en repousser l’idée en détournant le regard avec une moue de dégoût. Se voiler la face. Erik Nussbicker l’affronte, l’apprivoise comme un animal, avec respect, de la main, en chuchotant. Lorsqu’il rend hommage à la dépouille d’un cerf en célébrant chaque parcelle de son corps mort dont les os du squelette respectueusement disposés deviennent des instruments à corde, à vent, à percussion, c’est son souffle à lui, bien vivant, qui pénètre les os évidés devenus flûte, c’est sa main qui caresse les cordes tendues sur une croix entre les bois du cerf devenu lyre. Quand il convoque des milliers de mouches justement associées aux corps en décomposition, elles bourdonnent de vie et tracent le mot A.M.O.U.R. sur une gigantesque toile de soie blanche.
Ce qu’il y a de funeste dans notre perception de la mort est culturel. À l’image des centaines de vieillards indiens qui hantent les ruelles de la ville sainte de Bénarès, il faut cheminer, accepter sans renoncer. Ces ossements seront les nôtres, ce crâne pourrait être le mien. S’approcher, donc, tendre les mains pour propulser un de ceux qui, suspendus par des câbles, se balancent en émettant un son si, et seulement si, le geste est suffisamment engagé, parfait. Le chant qui émane des crânes en bronze en mouvement redevient un souffle vital. Également scénographe, Erik Nussbicker organise ses œuvres dans l’espace et les immerge maintenant dans la forêt meusienne pour un projet protéiforme avec Vent des Forêts. Il suspend trois de ses crânes psychopompes entre les branches des arbres, au cœur d’un écrin naturel où palpitent de concert, et depuis toujours, la vie et la mort. Il propose un rituel simple, vitaliste plutôt que macabre. Plus loin, il offre aux oiseaux des sous-bois des nichoirs accueillants pour élever leur descendance. Des crânes en céramique brute dont le trou occipital deviendra tantôt l’entrée pour retrouver la nichée, tantôt le perchoir d’où surveiller les alentours en sécurité. Autour de ce motif récurrent, inépuisable, il crée des Kougelhopftotenkopf, des moules à kougelhopf en céramique qui proposent de démouler un gâteau aux contours grimaçants. Dans le Jardin des Méditations, il offre aussi une tour en bois de mélèze de quatre mètres de haut inspirée des tours de guet des chasseurs qui, telle une antenne, nous reconnecte au monde, invite au calme, à l’introspection.
Le chant des oiseaux, le bruissement des feuillages, le miroitement du soleil offrent un support parfait à qui veut apaiser son esprit et communier avec la nature qui l’entoure. Erik Nussbicker n’est pas avare de sa connaissance intime de la matière, de sa faculté à révéler les sentiments les plus subtils. Il transmet, enseigne, partage. À Vent des Forêts, il collabore avec le potier marnais Richard Osik qui façonne pour lui ses nichoirs, avec la famille Wehrling qui fabrique ses moules à kougelhof et le lycée Loritz dont deux élèves s’appliquent à fondre les crânes en bronze destinés à résonner dans la forêt. Ces motifs de vanité, qui peuplent habituellement les cabinets de curiosité, ne font pas ici partie d’une collection exposée – incitant, certes, à la réflexion – mais sollicitent le mouvement, le geste réfléchi, presque intime, à la manière de ceux requis par la pratique du Qi Gong. Un espace de sérénité se crée aux limites du sacré, en équilibre entre les traditions occidentales et les philosophies orientales, ces dernières étant plus familières de l’impermanence, du mouvement perpétuel et du renouvellement fécond de l’univers dont nous faisons partie intégrante.
À cette condition humaine, belle et tragique dont Erik Nussbicker témoigne, l’écrivain Pierre Michon semble faire écho dans ses Vies minuscules : « Le premier soleil l’a frappé, il a chancelé, s’est retenu à des robes fauves, des poignées de menthe ; il s’est souvenu de chairs de femmes, de regard d’enfants, du délire des innocents : tout cela parlait dans le chant des oiseaux ; il est tombé à genoux dans la bouleversante signifiance du Verbe universel. Il a relevé la tête, a remercié Quelqu’un, tout pris un sens, il est retombé mort. »
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