La « Motte de beurre » est une nature morte peinte par le français Antoine Vollon entre 1875 et 1885. Il s’agit peut-être de l’une des plus dépouillée du genre, simple et grandiose, comme celles plus tardives de l’italien Giorgio Morandi. Le jaune d’or étincelant de cette motte emballée sommairement dans un linge contraste avec le blanc mat de deux œufs. Le tout posé sur ce qui est vraisemblablement une table, simplement évoquée. Dans toute l’histoire de la nature morte, dès la fin de la Renaissance, la table est là, recouverte en partie ou totalement d’une nappe aux plis apparents ou à peine représentée, réduite à un plan voire un trait. Dans ce dernier cas, elle disparait au profit de la composition d’objets, de fleurs, de fruits, d’animaux. David de Tscharner, jeune artiste contemporain suisse qui citait Antoine Vollon, invité en résidence de création dans la Meuse, s’empare des deux sujets -la nature morte et la table- en les hissant à même hauteur. Son angle est moderniste dans la forme, généreux dans l’usage. A Vent des Forêts, il dresse une table dont les pieds en troncs de chêne d’une part et en pierre de Senonville d’autre part traversent un plateau en béton coulé qui scelle l’ensemble. La table n’est plus ici un objet neutre destiné à servir de support mais constitue à elle seule un élément de cette nature morte, les pieds et le plateau en étant déjà en somme les premiers sujets. Pas des sujets passifs. Dans ce plateau, poncé et poli, lisse comme un galet, des anfractuosités ont été dessinées par David de Tscharner et toutes les découpes de la table sollicitent l’interaction avec les visiteurs qui la découvrent en forêt. Les premiers d’entre eux ont tout de suite compris la vocation participative de cette nature morte en forme d’autel, profane peut-être, architectural sûrement, pas si brutaliste finalement.
Arrangements de petits cailloux blancs, gerbe d’épis de blé, bouquets de chardons, de marguerites, couronne de lierre, bois de cerf, écorce moussue, déposés dans les petits trous pensés comme des vases, les lignes sinueuses du plateau et le fût de chêne évidé devenu étagère à trésors naturels. L’épure de la forme et le choix radical des matériaux offrent une toile vierge et accueillante à l’expression de toutes les collectes. Sobres, les trois pommes vertes intactes posées sur le plateau de bois formé par l’un des pieds. Discrètes, quelques fleurs de chicorée sauvage dispersées sur le béton blanc du plateau. Exubérantes, les brassées de fougères. La générosité de l’un a engendré celle des autres, et le potlatch en cours, né des strates de dons, est l’essence même de l’œuvre voulue par David de Tscharner. Sa recherche artistique, protéiforme, est toujours ouverte, aventureuse. Elle se nourrit avec délectation du hasard comme de l’objet trouvé, de la joie enfantine de sa découverte, de la conservation de sa trace, de l’histoire tissée avec lui. Curieusement, la sérendipité n’exclue pas la rigueur et la forme que prend le travail de David de Tscharner, qui traverse la sculpture, la peinture, la gravure, la photographie ou l’édition, assume une part de technicité tout en étant souvent naturaliste. Quand ses One Sculpture a Day revendiquent d’être issues d’objets glanés, récupérés au rythme d’un par jour, ses Planches de plexiglas marient plusieurs techniques ensemble et sont très complexes à réaliser. A Vent des Forêts, l’agencement de sa pièce feint d’être simple, les difficultés et les contraintes de la construction s’effaçant d’emblée, pour le visiteur, derrière l’appel à participation et à l’acquiescement au jeu.
Retomber en enfance ou bien philosopher ? Les objets inanimés ont-ils finalement une âme ? Still-life ou Natura morta, on notera en tout cas pour certaines natures mortes le paradoxe d’avoir l’air si vivantes.