Rencontres  ·  07 septembre 2018, 12:45

Amandine Arcelli

©Elisa Bertin

Aegirocassis Benmoulaé, Gha’Den Dini, Too Mata, Arapaima. Hop-Tlac. Mera Naam Joker. D’où viennent ces incantations exotiques ? Bitume de réagréage. Closoir de faîtage ventilé. Tyrolienne. Tuyau d’épandage. Chariot de ménage. Les contrées lointaines ont soudain pris des consonances triviales. On dirait une sorte de rituel en préparation dont les secrets n’ont pas encore été dévoilés. Une quasi alchimie qui transforme en, sculpture les matériaux les plus pauvres, les plus anodins, ceux des débarras et des magasins de bricolage. Chacune a son nom, sa forme totalement libérée de l’anthropomorphisme et des représentations classiques. Quand l’une pourrait, c’est vrai, évoquer un gigantesque bouclier, on peine à assigner à cet autre une quelconque origine ou ressemblance. Mais l’assemblage a tout d’une architecture qui s’invente. En agglomérant plaques d’isolants et pigments de couleur, tuyau de cuivre et filasse, Amandine Arcelli emprunte sciemment ses matériaux à l’univers du bâtiment, de la construction, au gros œuvre, au travail de chantier. Elle met la main à la pâte, expérimente, force les mariages. In situ. En tout cas toujours en lien avec son environnement immédiat ou le contexte de production ; de retour d’un périple indien ou en route pour une résidence d’artiste dans la Meuse.

Là où elle se délectait de matériaux industriels, Amandine puise maintenant dans les ressources plus locales et naturelles, presque insolites pour elle. Pour Vent des Forêts, elle campe \ ʁu.ba.to \, une sculpture complexe, conçue par strates. Sur une matrice de béton et de mortier teinté formant deux pans verticaux s’encastrent 350 morceaux de bois tournés dont elle a dessiné les formes de grandes quilles. Elle en a choisi les 4 essences aux teintes différentes, le chêne, le pin de Douglas, le mélèze et l’acacia, qui vieilliront chacune à leur rythme. Les parois massives, arrimées au sol, s’ouvrent comme des ailes déployées, transpercées par une structure métallique tubulaire. Celle-ci porte aussi de grand canevas de laine de mouton brute sertie sur une trame grillagée. Teintés de noir et bleu vif, ils contrastent sur l’ensemble qui vibre d’un jaune d’ocre. Les matériaux disparates, assemblés ici de façon totalement originale, trouvent une cohérence inattendue et donnent à \ ʁu.ba.to \ sa propre personnalité, lui confèrent une présence fascinante. L’assemblage des toisons, des tubes d’acier et des parois de bois et mortier a tout de l’érection d’un totem collectif qui précipite en un « être » mythique, symbolique, l’énergie de toute une communauté. Car c’est aussi la dynamique du lieu tout autant que les matériaux qu’il offre qui permet l’avènement des sculptures fantastiques d’Amandine Arcelli. Ainsi, en résidence de création en Isère à Molly Sabata, en 2016, elle créait in situ \A.BAK\, une immense structure bleu outremer traversant plusieurs pièces des espaces d’exposition, les envahissant presque totalement.

En 2018 à Vent des Forêts, elle trouve une énergie particulière, propre à ce lieu, celle des espaces naturels disproportionnés, partagés. Des techniques artisanales aussi. Celle de son oncle Jacques, tourneur sur bois marnais, celle du chaudronnier local, ou celle du spécialiste du bâti ancien qui lui enseigne la technique d’un mortier hydrofuge à teinter. Elle partage l’ardeur des bénévoles de l’association, mais aussi celle d’adultes en situation de handicap et de jeunes issus de la ville de Bar-le-Duc voisine, tous venus participer avec elle à la confection des grands tapis de laine. Ce brassage de savoir-faire et la mise en commun des ressources matérielles et humaines sont dans l’ADN du lieu, Amandine Arcelli ne pouvait que s’en emparer joyeusement en pétrissant toute cette matière première avec beaucoup de dextérité, d’inventivité et de fraicheur. Sa liberté prend des accents dits « romantiques » lorsque qu’elle choisit son titre qui évoque en musique une interprétation qui s’affranchit du rythme de la partition. Dans la forêt de Pierrefitte-sur-Aire, au détour d’un sentier, on déclamera donc à gorge déployée ou bien on chuchotera mezza voce : \ ʁu.ba.to \…

©Elisa Bertin

©Elisa Bertin

©Elisa Bertin