C’est un sacré vent d’ouest qui s’engouffre dans la sapinière qu’elles traversent au pas de course. Ça fouette comme une bourrasque bretonne qui balaie tout sur son passage ; les habitudes, les certitudes, les traditions aussi. Le duo d’artistes Aurélie Ferruel et Florentine Guédon se frotte aux rituels, aux us et coutumes autour desquels un groupe s’agglutine, se serre les coudes, se reconnaît, se revendique. Ces ensembles de pratiques, de costumes, de gestes codifiés sont le plus souvent le fruit d’un récit, d’un fantasme sans ancrage réel dans le passé ancien ; car la plupart sont récents voire inventés, en tout cas assurément réinventés. Ils se transmettent de génération en génération, mais pas forcément d’un village à l’autre. Se les approprier, c’est en faire l’argument d’une fête, d’une danse, d’une performance collective et de sculptures qui, toutes chargées de l’émotion partagée, deviennent de puissantes pièces exposées. En anthropologues bienveillantes, pleines d’esprit et d’humour, elles investissent, travestissent les rites, les cérémonials sans s’interdire les brassages audacieux. Quand leur parade de séduction offerte à deux mannequins en bois masculins se pare d’imposantes jupes plissées d’inspiration sud-africaine, elles la nomment Danse avec le cul et l’accompagnent, en chanson, du filet de voix très touchant de leurs grand-mères respectives et de l’harmonica du grand-père. Leurs familles vendéennes et normandes forment un creuset essentiel, une colonne vertébrale, le socle d’un enracinement qui leur autorise justement toutes les digressions, toutes les fantaisies.
C’est toujours le lien humain qui impulse le projet, la rencontre, parfois improbable, avec une confrérie gastronomique spécialisée dans la cuisson du sang de cochon frais ou les employés passionnés et prosélytes des splendides bains municipaux Art déco de la ville de Mulhouse. D’abord une rencontre, donc, comme la leur aux Beaux-Arts d’Angers en 2010. Leur collaboration artistique est indissociable de leur amitié, de leur complicité et de l’intrication de leurs familles. Puis chacune retrouve pour un temps son « cœur de métier », la sculpture pour Aurélie, le travail du tissage pour Florentine. Ce temps de création en solo donne naissance ensuite lorsqu’elles se retrouvent, à des œuvres riches de sens, à la fois nomades et sculpturales, dans un foisonnement de matériaux mixtes, allant des objets en porcelaine au sisal ou au wax, du bois de séquoia à la vidéo. Enfin vient le temps des réjouissances. Mais pas n’importe comment. Elles exploitent ensemble et raffinent à l’extrême les trois étapes, indispensables, nécessaires et suffisantes, de toute fête réussie : la cérémonie, la liesse, le charivari. Ou comment l’on passe d’un style un peu guindé et discret à la désinhibition totale due aux excès de boisson… C’est avéré, c’est jubilatoire et c’est inspirant. Les attitudes, les postures, les pas de danse, les cris ou les chants, tout se sophistique de parures extravagantes, de masques et de coiffes hybrides, s’étoffe de double sens et de clins d’œil entendus. Rien d’étonnant alors à les entendre entamer à l’unisson, les pieds dans la boue, une chanson paillarde dont les paroles grivoises sont en réalité extraites d’un mode d’emploi et de dépannage d’une perceuse, devenues soudain très équivoques.
Quand Vent des Forêts invite Aurélie et Florentine en Meuse, c’est en toute connaissance de cause. Quelles traditions populaires vont-elles bien pouvoir y métisser ? Quel visage exotique leur miroir va-t-il nous renvoyer ? En attendant :
Nazdravlje !